S’adapter à l’inattendu

 


Mon éducation monastique m'a encouragé à m'adapter à l'inattendu et à faire preuve de souplesse dans les limites des préceptes. En 1982, Ajahn Chah envoya une importante délégation de moines, dont je faisais partie, dans une région reculée d'une province voisine. Notre tâche consistait à construire un bûcher de crémation pour un de ses vieux amis, dont le corps avait été conservé pendant un an en signe de grand respect. 

Le soir précédant la crémation, des centaines de laïcs bouddhistes assistèrent au programme de psalmodies et de discours sur le Dhamma. Le cercueil du vieux moine fut placé sur une plate-forme surélevée, sous la statue de Bouddha. Le moment vint de transférer le corps de ce lourd cercueil en bois à un cercueil plus léger, adapté à une crémation en plein air. Il y eut une légère pause lorsque le couvercle du cercueil fut enlevé. Il s'avéra que les personnes responsables de la protection du corps contre la dégradation avaient commis une grave erreur. Elles l'avaient recouvert de poudre de ciment. Le corps était maintenant enrobé de béton. Une discussion discrète s'ensuivit et, peu de temps après, quelques moines jeunes et costauds apparurent avec des pics et se mirent à tailler dans le béton. Les laïcs restèrent assis, les yeux baissés, tandis qu'une chaîne se forma et que des morceaux de béton furent acheminés vers l'extérieur.

Cette opération bizarre se déroula en silence, avec une efficacité et une révérence difficilement imaginables. Finalement, cette tâche achevée, le corps fut transféré en toute sécurité. Les moines remirent leurs robes extérieures et nous nous inclinâmes tous devant le grand maître. Tout se poursuivit comme si rien d'anormal ne s'était produit. Le lendemain, plus d'un millier de personnes assistèrent aux funérailles. Ce fut une expérience émouvante et édifiante pour tous.

Ajahn Jayasāro 
04/05/24