Le temps est précieux
Enfant, je souffrais d'asthme. Lors d'une crise d'asthme, chaque inspiration était ressentie comme l'escalade d'une paroi rocheuse abrupte jusqu'au sommet d'une montagne. Chaque expiration était comme une glissade rapide, bien trop rapide, vers la vallée en contrebas. Les montées semblaient interminables, himalayennes.
Les descentes n'étaient qu'un répit temporaire. Je me réfugiais dans les livres. Ma première passion était les mythes et les légendes du monde antique, à commencer par ceux de la Grèce et de l'Inde. Les livres étaient mes amis les plus chers. Ils étaient toujours à mes côtés lorsque j'en avais besoin. Enfant, je n'aspirais pas à la richesse matérielle. Mais je nourrissais un rêve : celui de posséder un jour, devenu adulte, une bibliothèque.
Aujourd'hui, dans mon ermitage, se trouve une belle bibliothèque en bois avec des portes vitrées, un cadeau généreux. L'année dernière, elle a fêté son vingtième anniversaire. Je l'ai examinée attentivement. Combien de livres avais-je lus et combien d'autres attendaient d'être ouverts ? Combien de ces livres ai-je lus chaque année ? C'est alors que j'ai réalisé que même si je vivais jusqu'à cent ans, même si j'augmentais considérablement le temps que je consacre chaque jour à la lecture, le jour de ma mort, un grand nombre de ces livres ne seraient pas lus.
Aujourd'hui, ma bibliothèque n'est pas seulement la demeure d'amis anciens et potentiels. C'est un rappel constant de ma mort inévitable. Une mort comme les autres, avec des livres non lus, des connaissances non acquises, des choses non résolues. Je ne trouve pas cela déprimant. Au contraire, cela me donne de l'énergie. Le temps est précieux. Les seules vraies fins heureuses se trouvent en nous. Utilisez le mieux possible les respirations qui vous restent.
05/08/23