Aller à contre-courant de ce qui nous met à l'aise

 


Au lycée, je me rappelle avoir été très impressionné par une bande dessinée illustrant certains propos de Léon Tolstoï. Dans cette caricature, un gros homme bien habillé traverse un ruisseau assis sur le dos d'un pauvre homme émacié en haillons, le visage rouge à cause de l'effort. Les mots de Tolstoï sont tirés de la légende : "Je suis assis sur le dos d'un homme, je l'étouffe et je me fais porter par lui, et pourtant je me convaincs, ainsi que les autres, que j'ai de la peine pour lui et que je souhaite alléger son fardeau par tous les moyens possibles… sauf descendre de son dos."

Au fil des années, j'ai observé une attitude similaire chez de nombreux méditants. Ils sont prêts à faire n'importe quoi pour libérer leur esprit des souillures, sauf l'unique chose qui est vraiment nécessaire.

Un exemple : la méditation sur les aspects peu attrayants et repoussants du corps humain est enseignée comme l'antidote le plus efficace pour un esprit pris par la sensualité. Et pourtant, de nombreux méditants confrontés à un tel défi seront prêts à tout essayer sauf cette méditation. De même, les méditants dont l'esprit est enlisé dans la négativité, sont souvent prêts à tout essayer sauf la méditation sur mettā. Plus ces méditants sont instruits, plus les raisons qu'ils sont capables d’opposer pour justifier leur position sont convaincantes.

Il y a des moments où il faut suivre le courant et d'autres où il faut aller à contre-courant. S'occuper de souillures chroniques et profondément enracinées est le moment d'aller à contre-courant de ce qui nous met à l'aise.

Ajahn Jayasāro
22/10/22