Quelques mots suffisent
Ajahn Chah ne parlait pas anglais mais il était très adroit pour enseigner à ses disciples Occidentaux qui ne parlaient que très peu le Thaï. Un jour, dans les semaines qui suivirent mon arrivée à Wat Pah Pong, je balayais les feuilles lorsqu’il est passé pendant un tour d’inspection. Dès que je l’ai vu mon cœur s’est mis à battre dans ma poitrine comme s’il allait s’échapper dans la forêt. Je me suis accroupi sur le côté du chemin, les yeux baissés, mes mains en anjali.
- Il dit, “Chaun” ("Cuillère" était mon surnom comme il ne pouvait pas
prononcer mon prénom anglais, Shaun) Est-ce que tu vas bien ?
- Oui, Luang Por, je vais bien.
- Est-ce que tu vas très bien ?
- Je vais très bien.
- Très bien, ce n’est pas bon.
Puis affichant un air sévère, Ajahn Chah s’en alla.
J’étais sidéré. Qu’avais-je fait de mal ? J’avais récemment appris la phrase “Sabai dee” et personne ne m’avait jamais dit que cela n’était pas bien. Comment cela pouvait-il être mauvais ?
Il m’avait clairement donné une sorte d’enseignement. J'ai passé de nombreuses heures ce jour-là à essayer d’élucider ce qu’Ajahn Chah était en train de me dire.
J’en suis arrivé à la conclusion suivante : Aller bien était une bonne chose. Cela signifiait que j’étais satisfait de ma décision d’entreprendre l’entraînement et m’y tenais plutôt bien. En revanche, “très bien” n’était pas bon, car je me trouvais au début de la pratique et que mon cœur était toujours rempli de souillures.
Se sentir très bien était seulement possible si je ne prenais pas en compte tous les défis intérieurs que je rencontrais. J’avais reçu un avertissement à l'encontre de la complaisance. J’ai compris qu’Ajahn Chah avait vu à quel point j’aimais la vie monastique, qu’il avait observé ma personnalité décontractée, et m’avait donné le meilleur enseignement possible en quelques mots simples.
Ajahn Jayasāro
04/12/21